Enrichir le présentiel avec le numérique

15 Déc

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Il y a quelques années, du temps où je travaillais pour l’association Algora, formation ouverte et réseaux, le Ministère de l’Education Nationale et de la Recherche nous avait sollicité pour réfléchir à la manière d’intégrer les technologies éducatives dans les universités. Ce qui était alors dans les têtes était d’ailleurs davantage le recours à la distance plutôt qu’au numérique dans les amphis, et les campus virtuels qui se mettaient en place préfiguraient, pour certains d’entre eux, ce que sont aujourd’hui les MOOC.

Le collectif d’experts mandatés pour répondre à cette commande a très vite compris qu’il serait utopique d’espérer transformer radicalement des « enseignants-chercheurs », pour la plupart habitués à faire cours de manière magistrale à des élèves passifs en « formateur-accompagnateur-tuteur » dans un dispositif ouvert et tout à distance ! Il fallait donc y aller progressivement et nous avons alors imaginé la typologie Competice[1] qui propose une graduation dans le recours au numérique : du présentiel enrichi au présentiel quasi inexistant, en passant par le présentiel amélioré, allégé, réduit. Cette typologie a eu un certain succès au-delà de la sphère universitaire et nombre d’acteurs de la formation l’utilisent encore aujourd’hui. Dans un premier temps, nous préconisions donc de réfléchir à la place du numérique au service du présentiel, ce qui passait par le recours au Visio projecteur (tous les amphis n’en étaient pas dotés), à la vidéo ou encore au fait de faire intervenir des intervenants en visioconférence. Ce que nous n’imaginions pas à cette époque (début des années 2000), était que le numérique entrerait dans les amphis par la voie des étudiants, plus que par les enseignants. L’arrivée massive des ordinateurs portables et, bien sûr, des smartphones, ont obligé les enseignants à faire, bon gré mal gré, avec cette nouvelle donne, d’autant que cette irruption s’est étendue des amphis aux lycées, des lycées aux collèges, des collèges aux écoles et, bien sûr, aux centres de formation pour adultes.

Nombre d’enseignants ont finalement assez bien intégré ces nouveaux outils : inspirés sans aucun doute par les écrits de Michel Serres[2], qui voit dans le portable un prolongement du cerveau, ils ont complètement rescénarisé leurs interventions pour utiliser tout le potentiel des technologies, notamment mobiles, et de ce à quoi elles donnent accès ; dans les écoles primaires, voir par exemple le projet Twoulippo[3] où des classes, via twitter, créent et échangent de la littérature sur le modèle de l’Oulipo de Raymond Queneau.

D’autres, plus modestement, proposent d’utiliser ce couteau suisse de la formation[4] à certains moments de leurs cours. Quelques exemples parmi d’autres : chercher la définition d’un mot sur Internet, aider à la prise de note ou à la réflexion collective en utilisant des cartes heuristiques, répondre à un quiz (type Kahoot) pour dynamiser un cours ou vérifier la bonne compréhension d’une notion, lire une vidéo interactive avec insertion de questions, réaliser une activité pédagogique (type Learning apps) sur son portable via un QRCode, créer un espace collaboratif (type Padlet) où chaque participant peut déposer et commenter les liens qu’il trouve sur le sujet traité, etc. Comme le disent certains formateurs que j’accompagne « avant je luttais en permanence contre le portable que les élèves utilisaient tout de même en dessous de la table, maintenant qu’il est sur la table, les élèves ont moins tendance à l’utiliser pour tout et n’importe quoi ».

D’autres enfin continuent de lutter contre, au risque de faire perdurer de grandes inégalités dans les usages (cf. en intra article de Jean-Yves Loiget) et de mésestimer ce en quoi le numérique révolutionne nos manières d’apprendre. Considérer, comme le font certains, qu’à l’instar de l’interdiction du portable dans les collèges (bien que la loi l’autorise toutefois, à des fins pédagogiques[5]) il faudrait l’interdire dans tous les lieux de formations, y compris les amphis, sous couvert de protection des élèves, de lutte contre les informations erronées et bien encore d’éradication des sources de distraction et de la perte de l’attention liées au multitâche (ce qui reste à prouver), serait un retour en arrière ahurissant et incompréhensible alors même que la maîtrise accrue du numérique est la première des compétences du XXIème siècle.

Fréderic Haeuw, formation consultant spécialisé dans l’usage du numérique en formation

[1] http://eduscol.education.fr/bd/competice/superieur/competice/index.php

[2] Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, coll. « Manifestes », 2012, 84 p.

[3] https://twitter.com/tw_oulipo

[4] http://theconversation.com/a-lecole-le-portable-cest-le-couteau-suisse-du-xxi-siecle-96363

[5] « Concernant les interdictions conditionnelles, la loi permet de prévoir des circonstances, notamment les usages pédagogiques… » http://www.education.gouv.fr/cid133479/interdiction-telephone-portable-dans-les-ecoles-les-colleges.html

Crédit photo : kahoot


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