Calendrier du 08 décembre 2021
par Frédéric HAEUW, Consultant
En une vingtaine d’années, les démarches qualité se sont progressivement installées dans le secteur de la formation des adultes ; au début des années 2000, seul un infime pourcentage des quelques 40 000 organismes avait fait ce choix, ceux-ci optant alors majoritairement pour la norme ISO 9001 ou pour la certification OPQF (créé en 1994 par la Fédération de la Formation Professionnelle). Depuis, l’idée a fait son chemin, les labellisations se sont multipliées et les financeurs, puis le législateur, ont fini par en faire une obligation pour accéder aux financements publics et aux fonds mutualisés : tout d’abord avec l’instauration en 2018 d’un référencement obligatoire via le DataDock, puis avec la certification Qualiopi dont l’obligation entre en vigueur le 1er janvier 2022.
A l’heure où le marché de la formation est ouvert et s’inscrit dans une approche B.to C. et où les citoyens peuvent désormais, depuis la loi de 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel, faire eux-mêmes leurs démarches pour utiliser leur compte personnel de formation, la production de normes peut donner des repères et des aides aux choix et rassurer le « client final », sur la prestation qui lui sera proposée.
Du point de vue des acteurs, les démarches qualité, en s’inspirant des modèles industriels et de l’ingénierie, ont permis par ailleurs une professionnalisation accrue du secteur. Les concepts d’études de besoins, de cahiers des charges, de dispositif, de ressources pédagogiques, d’évaluation de la satisfaction ont joué un rôle majeur dans la structuration des activités de formation et facilité le passage progressif d’une pratique informelle et artisanale, notamment héritée des pratiques sociales de l’éducation permanente, à une activité plus professionnelle.
Toutefois, la formation n’est pas, et ne sera jamais un « produit » comme un autre ; c’est avant tout « une affaire de vie » comme le dit joliment Denis Cristol qui affirme que « les métiers de formation sont des métiers de vitalisation et ne sauraient être si fortement référencés que la tendance actuelle le souhaite ». Les études sur les processus d’apprentissage des adultes, notamment les courants traitant de l’autoformation ou de la formation expérientielle, montrent clairement la place prépondérante de l’apprenant dans la réussite et l’efficacité de ses apprentissages. Comme le dit encore Denis Cristol « apprendre est une coproduction entre un esprit et un environnement. Va-t-on certifier les apprenants et leur cerveau ? » Au-delà d’un simple phénomène de servuction de nature économique, on sait depuis toujours que l’acteur central d’une action de formation est l’apprenant lui-même et non le formateur, et que des cadres trop stricts bloqueront l’apprentissage plutôt qu’ils ne le faciliteront. Se former est un acte dont le résultat dépend de la personne elle-même, de l’énergie qu’elle déploie, de sa confiance en elle, de sa manière de réagir face à la difficulté, mais aussi de la dynamique de groupe qui se met en place en formation. Comment par exemple, prévoir ce qui se passera dans une action de type « social-learning » basée sur la coopération et la co-construction de savoirs entre les apprenants ?
Or, la pression liée à l’injonction de la démarche Qualiopi et à la crainte de perdre son marché, est telle qu’elle peut pousser les dirigeants des organismes à exiger de la part des ingénieurs de formation et des formateurs, des déroulés pédagogiques de plus en plus précis qui conduisent à des actions de formation ultra normatives conçues pour des apprenants types et qui ne laissent plus de place à l’improvisation, à la sérendipité pédagogique, à la personnalisation. C’est une véritable injonction paradoxale qui se pose : d’un côté une incitation forte (et légitime) à la personnalisation de la formation et à la prise en compte de chaque participant dans sa singularité, de l’autre une planification dans les moindres détails ce qui sera dit, ce qui sera fait, parfois à la minute près. Pour ma part, je ne sais jamais comment va se dérouler une action de formation et c’est tant mieux. Bien sûr, j’ai prévu et formalisé les objectifs de formation, que je partage avec les apprenants au démarrage ; bien sûr j’ai pris la mesure de leur niveau de maitrise du sujet abordé ; bien sûr j’ai prévu ma progression et mes activités, mais ensuite c’est avec le groupe lui-même que se vivra l’aventure !
Au-delà d’un parcours de formation qui, lui, peut être prescrit, le chemin parcouru par chaque apprenant sera imprévisible, unique, inédit, non reproductible. En tant que formateur, mon travail est d’accompagner, en proposant un cadre d’apprentissage, un environnement facilitant, des ressources, une expertise, une expérience du terrain, en suggérant sans imposer des itinéraires, des progressions, des techniques, en évitant si possible quelques chausse-trapes, sans pour autant sécuriser à l’excès car sinon où serait l’aventure ? où serait l’expérimentation ? où serait l’apprentissage ? et j’ajouterais : où serait le plaisir ?
Dans une séance de formation, en présentiel comme en distanciel, une question posée par un participant permet de bifurquer, de prendre une autre voie pour arriver à ses fins ; toute proposition, toute suggestion en cours de formation doit être entendue et prise en compte pour adapter le programme et le déroulé pédagogique au groupe d’apprenants. Toute modalité personnelle d’apprentissage doit être respectée et soutenue. Toute erreur doit être prise comme une occasion de cheminer différemment vers la connaissance et la compétence visée. Chaque apprenant doit pouvoir apprendre à son rythme, sans crainte de ralentir les autres et je ne passerais pas le même temps avec l’un qu’avec l’autre, en fonction de ses besoins, de ses attentes, de son autonomie.
En résumé, si je peux aisément concevoir la mise en œuvre de dispositifs de formation articulant avec rigueur ressources pédagogiques, technologies et encadrement formatif, je ne pourrais jamais mettre en cases la totalité de mon activité de formateur sans considérer dans le même temps que ce cadre ne peut être ni totalement prescriptif, ni vérifiable à postériori.
crédits photos : Markus Spiske, unsplash