La création n’a pas de saison

09 Déc


Calendrier du 09 décembre 2021
par Samuel TARIN,
artisan de l’image

Chaque année c’est rebelote.
Il y a un moment où les feuilles passent d’un vert végétal au feu rougeoyant. Puis on se sent caressé par le gris de l’hiver et ses nuages bas, parfois même on se languit de voir la neige arriver, elle qui pourrait pimenter le quotidien si froid.
Et puis arrive l’impatience avec les premières timides chaleurs printanières. Alors on trépigne d’envie de voir la vie réinvestir la nature, et d’apprécier la course du soleil qui tend à culminer au plus haut dans le ciel.
Chaque année est une répétition.
Et même si dans les décennies à venir, le changement climatique apportera des variations au cycle des saisons, les saisons ne proposent rien de vraiment nouveau, leurs quatre grandes fonctions s’exécutent en boucle depuis toujours.

Pourtant quoi de plus créatif que la nature ? Pour en constater sa puissance créatrice, il faut quitter la généralité fonctionnelle pour se concentrer sur le détail d’un fait. En changeant de dimension, la richesse de variétés surgit pour celui qui est attentif. Les couleurs des feuillages automnaux deviennent subtiles et variées. Les sinuosités des branches nues n’ont jamais deux fois la même forme. Les sons printaniers signe d’une vie revenue sont foisonnants même si bien souvent trop fins pour être perceptibles. Et bien sûr, les coups de soleil des imprudents vacanciers jamais de la même taille, de la même rougeur ou de la même intensité !

Etre créatif c’est sortir de la généralité pour une singularité. Adopter un nouvel angle de vue spécifique et orienter ses pensées dans cette direction. Cela sous-entend de sortir des lieux consensuels pour suivre sa propre curiosité. Voilà les portes d’entrées de la création.

Quand on pense création on pense d’abord à l’Art (au sens large : littérature, peinture, cuisine, artisanat d’art, etc…). Une création artistique professionnelle ou dilettante n’engage que son créateur dans l’objectif qu’elle annonce. L’extérieur étant surtout un public en position d’observateur.
En revanche, créer en milieu professionnel dissipe cette notion d’individualité. Elle nécessite de parler selon des fondamentaux communs à tous afin d’atteindre un objectif commun concret.

En appliquant cette pensée au monde professionnel, la création n’est pas chose aisée. Le monde professionnel exige un sens commun pour déployer les activités et les interactions inhérents au travail. Sans ce sens commun pas de bases fondamentales et donc l’atteinte de l’objectif devient difficile.
Il en va de même pour le secteur de la formation. Faire preuve de créativité a ses limites. On ne peut pas faire n’importe quoi ni partir dans tous les sens lors d’une formation. Il est important de respecter un carcan pour que l’apprentissage des informations soit réussi.

Alors comment amener ce regard nouveau, comme lorsqu’on regarde l’automne allongé sur le sol humide d’une forêt tapi de feuilles mortes, et que chaque couleur nous offre sa propre version de l’automne ?
L’idéal est d’agir sur des points précis, relatifs à la forme de la formation voire au physique des personnes impliquées.
Cela peut aller des propositions à travailler debout, dehors, dans une salle de couleur uniforme jusqu’à faire varier la tonalité de la formation en introduisant une connotation d’humour, de poésie, d’histoire ou de science autour des informations diffusées.

L’action autour du corps physique est aussi un levier pour amener de la créativité. Par exemple, proposer des jeux de rôles ou des mises en situations. Nous pourrions aussi imaginer une diffusion d’odeurs dans la pièce, un éclairage particulier des lieux. Proposer aux personnes de grignoter des racines de gingembre plutôt que de boire un thé, un café ! Imaginez qu’on vous propose de mémoriser une notion clé en la chantant plutôt qu’en l’écoutant ou en l’écrivant !
Cela peut paraître farfelu selon les conventions habituelles, mais il s’agit juste d’un décalage, qui ne dénature pas l’objectif final mais qui propose d’agrémenter le chemin pour y accéder. Encore faut-il que les personnes soient prêtes à cela.

Si l’aspect créatif semble manquant dans l’univers professionnel, c’est peut-être simplement lié à l’esprit humain qui selon ses tempéraments, fonctionne avec plus ou moins de rigidité. Pour amener plus de création, peut-être faudrait-il simplement laisser ressurgir un peu d’enfant en soi et oser jouer ?
La fraicheur, l’enthousiasme et la candeur ne sont pas incompatibles avec le sérieux du monde professionnel. Il s’agirait de les saupoudrer avec tact sur la manière de vivre la formation ou de la dispenser. La créativité agit comme la poudre de Peter Pan qui fait s’envoler. Elle est simple, elle doit être simple et sans niveau de valeur.

La création c’est avant tout l’acte de faire. Elle ne répond pas à une obligation de performance ou de résultat. La permettre est aussi un principe d’intégration sociale qui reconnait l’individu comme tel au sein d’un groupe.

Comment dès lors ne pas évoquer le système scolaire qui tend à évacuer la création du quotidien au profit de quelques heures d’activités artistiques pour conformer l’élève à une structure rigide et efficace. Conformant de la même manière son regard qui voit s’éloigner avec les années de pratique, sa propre créativité.

La création en milieu professionnel ne demande pas d’aptitudes spéciales ou de réaliser de grandes trouvailles. Elle est le décalage enthousiaste des acteurs de la formation pour amener de l’originalité dans la forme du contenu, dans l’environnement de formation et autour de chaque individu. Tout en préservant la pertinence et la qualité des notions de fond enseignées.

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