Repères scientifiques sur la diffusion du numérique

01 Déc

En cette fin d’année, Stratice vous propose un calendrier de l’avent un peu particulier. 24 jours pour redécouvrir les enjeux du numérique dans notre société et pour en questionner les transformations. 24 jours aussi pour découvrir des initiatives et projets où le numérique est un outil.

Pour commencer ce calendrier nous vous proposons de mettre en perspective la diffusion du numérique dans nos vies et dans la société. Par une approche scientifique de la diffusion numérique, il est intéressant de voir le chemin parcouru et l’évolution des enjeux actuels.

Les recherches en sciences sociales partent du point de départ suivant : l’usage des TIC est grandissant et annonce des changements sociaux majeurs voir structurels. Des études ont donc cherché à comprendre les bouleversements des rapports sociaux engendrés par le numérique : bouleversements dans la relation de couple entraînés par le téléphone portable (Martin, De Singly, 2002), bouleversement des collectifs de travail avec la naissance de communauté d’expertise en ligne comme Wikipédia (Cardon, Levrel, 2009), ou bouleversement des sociabilités (Casilli, 2010).

Les travaux sur la diffusion des technologies

Les approches infrastructurelles identifiées par Granjon concernent les enquêtes qui expliquent les disparités d’équipements par « l’existence de niveaux de développement fortement différenciés, imputés à des carences dans l’aménagement des territoires, dans l’équipement des ménages ou des institutions étatiques. » (Granjon, 2004 : 217). Méthodologiquement, il s’agit d’étudier statistiquement la diffusion des supports et leurs usages à travers les taux de couverture, de pénétration ou d’équipement ou encore la fréquence d’usage selon les individus. Ces approches permettent de mettre en évidence les écarts dans l’accès aux outils de communication. Elles font ressortir un certain nombre d’inégalités (niveau de vie, lieu de vie, âge). Par le biais de sondages réalisés aux Etats-Unis entre 1996 et 1998, Bomber a ainsi pu constater une inégalité d’accès à Internet selon le genre malgré une tendance de hausse générale de cet accès au sein de la population (Bimber, 2000). Les enquêtes longitudinales comme celle de Batorski et Smoreda sur la population polonaise ont pour objectif de mesurer la pénétration des nouvelles technologies dans la vie quotidienne des polonais Batorski, Smoreda, 2007). Ainsi les auteurs ont pu montrer que les TIC continuaient à se démocratiser malgré la persistance d’inégalités mais aussi que l’apparition de nouvelles technologies tend à les faire persister.

La mesure de l’accès au TIC s’est souvent faîte au regard de la consommation, de la possession de supports d’informations ou de la télécommunication. Les résultats témoignent donc d’une réalité choisie et orientée pour évaluer cet accès : celle du choix des supports concernés par cette mesure. Un biais qui est aussi révélateur de la fragilité du concept de « fracture numérique » qui dessine une frontière mobile entre les individus dotés et les non dotés selon les indicateurs choisis et leurs critères. Pour reprendre la distinction entre les « have », individu ayant accès, et les « have-not », n’en possédant pas, on distinguait dans les années 80 le critère de la possession d’un ordinateur excluant ainsi les individus ayant un accès au travail ou dans des lieux publics (Dupuy, 2007).

Des chercheurs américains (Watt et al) ont identifié quatre groupes de non-utilisateurs : les « abandonnistes volontaires » (rejecters), qui n’utilisent plus Internet par choix personnel ; les « abandonnistes involontaires » (expelled), qui ont arrêté d’utiliser Internet pour des raisons qui ne relèvent pas de leur volonté ; les « exclus » (excluded), qui ne peuvent avoir d’accès par manque d’infrastructure ou de moyens socioéconomiques ; et les « résistants » (resisters), qui n’ont jamais utilisé Internet, par choix. En effet la question de la pérennisation des usages a permis d’évaluer avec quelle efficacité sur le long terme l’accès matériel se traduisait en pratique utilitaire. Une étude réalisée sur les primo-accédants permet ainsi de voir que 16 % des foyers abandonnent après 3 mois d’utilisation (Lelong, 2004). Une période critique est observée de trois mois à six mois suivie d’une période de stabilisation des usages.

La diffusion du numérique par les usages

Une seconde catégorie d’études se concentre sur la pérennisation des pratiques en distinguant des catégories d’usagers : novices ou débutants, les « accros du net » (Boullier, Charlier, 1997 : 164), ou encore les abandonnistes.

Les travaux de sociologie s’intéressant aux usages ont montré que malgré la démocratisation des objets numériques dans la société et leur importance dans le milieu économique leurs utilisations restent inégalement partagées par la population selon les profils sociaux. Ces approches permettent aussi de révéler une hiérarchisation des usages identique à la différentiation que l’on peut faire entre culture légitime et culture populaire. On peut ainsi distinguer les technologies numériques selon une hiérarchie entre le noble et le vulgaire (Boullier, 2016). Les pratiques numériques classées comme vulgaire sont le MP3, P2P, le SMS, le chat et la messagerie, les photos prises sur portable, les blogs, les séries téléchargées et les vidéos YouTube ainsi que les jeux vidéo. Du côté de « numérique noble » on trouve alors le CD, le téléchargement légal, le téléphone, le mail, le traitement de texte, les sites Web, la télévision broadcast et éducative et les films. Cette hiérarchisation des usages est donc à rapporter à une « fracture scolaire » car elle prend sa source dans la qualification ou la disqualification opérée par l’école. La hiérarchisation des pratiques conduit aussi à une hiérarchisation des supports ce qui explique que l’on concentre aujourd’hui les questions et les orientations politiques sur les supports informatiques (ordinateurs, tablettes ou aujourd’hui smartphones qui permettent de nombreux usages autrefois réservés aux ordinateurs.) mais aussi sur la pratique d’Internet utilisant ces mêmes supports.

La sociologie des usages participe à la création de typologies d’usages et d’usagers. Au niveau de l’usage d’Internet par exemple, Boullier et Charlier distinguent les « accros du net » et les « surfeurs ordinaires solitaires ». Les « accros du net » investissent les pratiques liées à Internet mais aussi les innovations successives, ils sont très utilisateurs des chats, des blogs personnels et de la mise en scène de soi, le surf sur Internet est alors un outil de veille permanent sur leurs intérêts. Cet investissement est facilité par leur cursus qui leur a permis d’être formé, ou leur niveau d’instruction général élevé, ils peuvent alors être autodidacte. Les auteurs montrent alors que cet investissement peut se traduire en opportunité professionnelle. Les « surfeurs ordinaires solitaires » ont une pratique moins investie, il s’agit surtout pour eux de voir ce qu’est internet et non pas de répondre à un besoin ou un objectif précis. Les auteurs précisent alors que la curiosité et la bonne volonté ne suffisent pas à acquérir des pratiques constructives, or elle est souvent le moteur de l’utilisation quand celle-ci n’est pas motivée par une obligation professionnelle à se mettre à jour. Les usages représentent aussi des « efforts d’actualisation » pour dépasser les difficultés techniques et de configuration.


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