Apprentissages psychomoteurs : quels ressorts pour les formateurs ?

16 Déc


Calendrier du 16 décembre 2021
par Samuelle Dilé
, AUREACOM

Les apprentissages psychomoteurs ont des ressorts spécifiques, qui peuvent en bien des points être comparés au compagnonnage. Dans un tel contexte, le système sensoriel occupe une place majeure. Explications.

La plupart des théories de l’apprentissage sont centrées sur les apprentissages cognitifs ou de d’apprentissages techniques, procéduraux. Pour sa part, la dimension pratique est très souvent centrée sur la mise en œuvre concrète dans un cadre de référence donné. Quant aux travaux de recherche sur les apprentissages psychomoteurs, ils sont nettement moins fournis. 

Venant d’une famille de plusieurs générations de compagnons, et après plus de 30 ans consacrés entre autres à la conception et à l’accompagnement de formateurs ainsi que de tuteurs dans l’apprentissage de métiers manuels, j’ai décidé aujourd’hui de partager avec vous quelques une de mes synthèses sur les spécificités des apprentissages psychomoteurs… 

Perception et action : 2 opérations inséparables 

« Le système sensoriel est formaté pour percevoir des informations de l’environnement et déclencher les réactions appropriées » (Whiting, Vogt et Vereijken, 1990).

Chez l’être humain, tout commence par la perception sensorielle :  le système visuel, souvent prioritaire, extrait du milieu extérieur les informations pertinentes déjà organisées pour inciter le système moteur à agir directement en fonction de l’information recueillie. L’évolution a construit tout au long des années des systèmes de couplage perception/action qui permettent aux êtres vivants de réagir vite et adéquatement à l’apparition de stimuli particuliers.

Ceci signifie que les formes d’action dépendent des caractéristiques perceptives des stimuli. On dit que l’information spécifie l’action.

Mais l’action spécifie aussi la perception en ce sens que ce que l’on perçoit dépend des actions que l’on exécute. On s’informe et ne capte les informations que par rapport à une action à réaliser. La perception est structurée par les actions.

Si je traduis ces quelques éléments en termes de principes pédagogiques pour des formateurs, je donnerai plusieurs conseils : 

  • Nommez lentement tout ce que vous allez montrer ou démontrer (le moindre geste !)  et en précédant l’action immédiate ; 
  • Présentez l’environnement, les flux avant l’action  pour mobiliser l’attention diffuse puis le « focus » ;
  • Avant de faire faire, questionnez toujours votre apprenant sur ce qu’il a perçu, ressenti (plutôt que compris).  Cette étape est très souvent oubliée dans le processus de transmission… Elle est pourtant essentielle.

Une progressivité particulière en 3 temps 

Comme tout processus d’apprentissage, l’apprentissage psychomoteur est itératif. Il comporte des états de conscience et d’inconscience relatifs aux compétences ou incompétences de chacun, des états de progression, de plateau, d’ancrage mémoriel… Pour autant, avec l’apprentissage psychomoteur, il y a un facteur particulier : celui de la coordination ou de la synchronisation entre la tête et la main. Je pourrais traduire cela par les termes suivants : l’intelligence de la main.

Prenons un cas pour comprendre :

Un ami vous propose de jouer au tennis.  Lui sait jouer, mais pas vous ! Vous lui précisez que vous ne savez pas jouer, mais lui vous dit qu’il n’y a pas de souci. « On s’amuse, t’inquiète ! » Alors vous tentez l’expérience sans enjeu. Vous jouez à la « pousse ba-balle ». Ainsi, vous allez jouer avec vos perceptions et actions spontanées ! Et si vous faites partie de celles et ceux qui, comme +80% des gens, ont acquis une bonne motricité visuo-spatiale lors de l’enfance, alors vous allez réussir à rattraper les balles. Vous allez les relancer et comme votre partenaire est conscient de votre petit niveau et est bienveillant, vous jouerez plutôt bien. Votre jeu pourra même être surprenant pour un débutant. Vous pourrez même venir à penser que vous avez eu la chance du débutant…

Seconde étape : comme l’humain adore le succès, vous aimez désormais jouer au tennis et décidez de prendre quelques cours. Vous voici sur le terrain, avec un professeur. Là, vous commencez à écouter, à comprendre, à vous placer, à percevoir différemment… Et curieusement, vous ratez plus souvent la balle ! Vous avez le sentiment d’avoir compris mais n’arrivez plus à mettre en application ce que vous avez compris. Que se passe-t-il ? Il se passe que la compréhension consciente est cognitive ; or l’action, pour être juste et bonne, doit être spontanée. Problème d’ajustement temporel donc ! Il semble que la main a besoin d’aller dans l’apprentissage jusqu’à la modélisation afin d’atteindre l’autonomie et donc l’action spontanée adaptée. C’est son « intelligence ».

Dans le prolongement de ce que je viens d’indiquer, tout l’enjeu de l’apprentissage psychomoteur est de favoriser, d’accélérer, de faciliter le processus. Pour cela, il existe quelques principes clés à destination des formateurs, bien connus des psychomotriciens : 

  • Respectez la boucle du tâtonnement/erreur :
    🡺perception🡺Action🡺information corrigée🡺essai🡺perception🡺action, etc.
  • Dans le parcours d’apprentissage, favorisez et ajustez les critères de mesure en fonction de la progressivité naturelle de l’apprentissage psychomoteur :
    Geste juste 🡺Geste bons🡺Geste sûrs.

Formateurs, attention ! Ne grillez pas les étapes. C’est contreproductif et cela ralentit le processus. Lors de vos feedbacks, concentrez-vous sur l’atteinte des objectifs atteignables à ce moment du processus (d’abord les gestes justes, puis les gestes bons, puis les gestes sûrs). L’erreur habituelle est de faire des feedbacks sur toutes les dimensions en même temps. N’oubliez pas que le socle indissociable du mécanisme c’est le mode perception/action, et ce dans les deux sens. Ceci implique une chose : c’est la mise en place et l’évolution progressives des contraintes qui feront évoluer les choses. Tout est une question de dosage !

L’apprentissage psychomoteur : une question de sensorialité  avant tout ! 

L’apprentissage psychomoteur ne repose pas seulement sur la compréhension et la pratique maîtrisée de gestes métiers grâce à des entrainements et répétitions intensives. Certaines personnes, même pleines de bonne volonté, n’ont pas forcément acquis ni développé tout leur potentiel en termes de motricité ou d’habilités manuelles. Il est donc important de développer parallèlement les capacités sensorielles de vos apprenants, notamment dans les métiers où la qualité du geste est essentielle.  

Un conseil à destination des formateurs, des maîtres d’apprentissage : fabriquez un kit d’activités sensorielles adaptées aux capacités psychomotrices nécessaires au métier que vous encadrez. Visuospatialité, kinesthésie, dextérité/précision, centration, latéralité… Ce recours à des activités sensori-motrices en complément des apprentissages est un moyen ludique, naturel et très efficace afin de développer les potentiels et capacités psychomotrices au service de l’apprentissage métier.

Et enfin pour conclure, une petite touche particulière dédiée aux métiers de l’artisanat :

Tel que l’exprime, dans son ADN, l’école des compagnons (le « compagnonnage ») a pour double but de former des hommes (ou des femmes) en même temps que des professionnels qualifiés. 

Dans l’artisanat, la dimension du « faire bien » est intrinsèque. Toutefois,  n’oublions jamais que pour « faire bien », il faut y mettre de soi. Pour cela, indépendamment des gestes métier, il faut ainsi développer son désir, son amour du métier, se dépasser, se transformer, se faire évoluer, transmettre… Les mécanismes sous-jacents à ce processus sont les suivants : l’élaboration et la sublimation

De telles compétences s’acquièrent par un « supplément d’âme* ». C’est ce que répète souvent Frédéric Jobron, responsable Coordination Technique  & Savoir faire formation ADM chez Hermès.

Les pistes pour développer ces compétences et savoirs être artisan sont multiples : l’œuvre collective, l’épanouissement personnel (sentiment d’efficacité personnelle), la bienveillance, la liberté/responsabilité dans les stratégies d’apprentissage, le droit à l’erreur, le climat de confiance… Reconnaissance, bienveillance, authenticité dans la relation apprenant/tuteur/formateur : ces éléments sont décisifs.

crédits photos : Jan Romero, Unsplash