Dans le domaine du numérique éducatif, l’intelligence artificielle est souvent présentée comme une révolution. L’IA personnaliserait les apprentissages, automatiserait les évaluations, et libérerait les enseignants de tâches administratives répétitives, les soulagerait dans la conception et la production de ressources d’apprentissage, accroitrait la qualité et la diversité de celles-ci.
Il est difficile de contrebalancer, ou même de simplement nuancer le discours ambiant sur l’IA. D’une part, parce que certains de ses apports sont indéniables ; d’autre part, parce qu’elle peut produire des résultats spectaculaires (par exemple transformer un document textuel en un podcast faisant dialoguer deux personnes) qui emportent l’adhésion, voire suscitent une certaine fascination. Mais surtout parce que l’IA est à la portée de tous et que chacun peut en faire une expérience heureuse. Quel formateur ou enseignant (à condition qu’il ne rejette pas viscéralement le numérique) n’a jamais demandé à une IA de générer un programme de formation, un diaporama support un questionnaire d’évaluation ? En ce sens, l’IA est comme le bon sens cartésien : la chose au monde la mieux partagée — tout le monde peut s’en servir, tout le monde croit savoir s’en servir, et rares sont ceux qui doutent de leurs propres usages, même lorsqu’ils restent approximatifs ou limités.
Faut-il cependant céder à ce discours, et ne pas prêter attention aux continuités discrètes derrière les ruptures apparentes ?
C’est à partir de cette interrogation qu’il nous semble pertinent d’aborder la question de l’impact de l’IA dans les LMS.
Tout d’abord, on peut dire que l’IA ne révolutionne pas l’interface des LMS, la façon dont les espaces de cours sont structurés, hiérarchisés, dont les ressources et les activités sont présentées aux apprenants. Elle ne chamboule pas les menus de navigation, les tableaux de bord. Mais elle s’infiltre çà et là, par exemple dans les éditeurs HTLML, sous la forme de boutons « Générer avec l’IA », « Traduire avec l’IA », « Résumer avec l’IA ». On la trouve également dans les outils d’évaluation où elle invite à générer des questions ou des grilles d’évaluation.
Ensuite, l’on peut constater qu’elle ne s’attaque pas à la structure des LMS, à leur philosophie, à leurs principes pédagogiques, leurs fondements. Elle renforce ses fonctionnalités, mais sans véritablement en ajouter de nouvelles. Si un LMS dispose d’un système de tracking avancé, l’IA pourra en exploiter ses données pour affiner la détection des apprenants en difficulté, générer des alertes plus précises ou proposer des interventions. De la même façon, elle enrichira les messageries intégrées et les forums de discussion, en extrayant les questions fréquentes ou en générant des questions types. Mais, elle ne créera pas de nouvelles modalités d’interaction pédagogique.
En fait l’IA se déverse de l’extérieur (depuis les LLM) dans les LMS, les irriguant, renforçant certaines fonctionnalités, en accélérant d’autres.
Et le travail des éditeurs est précisément de rendre possible ce grand déversement, cette irrigation, en branchant, via des API leur LMS aux grands modèles de langage (LLM). Cela reste fondamentalement une histoire de tuyauterie ou de raccordement, quels que soient par ailleurs la complexité de l’opération et le haut niveau de compétences que sa réalisation requiert.
C’est un peu comme raccorder son domicile à la fibre optique : les murs, les pièces, l’agencement intérieur restent les mêmes, mais la maison est mieux connectée : les séries Netflix se chargent instantanément, les visioconférences ne figent plus, les appareils domotiques réagissent au quart de tour, et l’ensemble gagne en confort, en rapidité, en fluidité. Cela ne change pas fondamentalement la configuration des pièces, ni la manière de les habiter, même si, bien sûr, cela peut en modifier les usages : on peut désormais travailler dans la chambre, regarder un film dans le jardin, ou télétravailler depuis la cuisine. L’IA ne transforme pas la structure profonde et originaire des LMS, mais elle assouplit certains usages, déplace ou déporte des pratiques. Les réponses ne sont plus données dans les forums, mais dans un chatbot qui trouve discrètement sa place dans l’un des espaces existants : page d’accueil, pages de cours…
Et, de la même façon qu’il est plus facile de brancher sa maison à un réseau (eau, électricité, internet) que de la construire ou de la réaménager, il est aujourd’hui bien plus simple de brancher un LMS à un grand modèle de langage que de créer un nouveau type de question ou d’activité d’évaluation. Connecter une API d’IA générative ne demande qu’un appel à un service externe et quelques ajustements d’interface. À l’inverse, concevoir un nouveau type de question ou une nouvelle activité pédagogique peut s’avérer beaucoup plus complexe : modéliser et coder les interactions, concevoir l’interface concepteur, l’interface apprenant, intégrer les scores dans le système de reporting, etc.
En conclusion, à la question de l’impact de l’IA dans les LMS, nous devons répondre de manière nuancée : l’IA accélère certaines opérations, enrichit des fonctionnalités, mais elle le fait sans transformer la structure profonde ni la logique pédagogique des applications.
Cette réponse peut-elle s’étendre à d’autres usages, d’autres aspects de l’IA dans le champ éducatif ? Sans doute. L’IA optimise des pratiques, des outils, sans remettre en cause les cadres institutionnels, les modèles pédagogiques ou les finalités éducatives.