Quel écosystème technico-pédagogique pour les organismes de formation en 2022 ?

12 Déc


Calendrier du 12 décembre 2021
par Jean-Luc Peuvrier
, STRATICE

Êtes-vous bricoleur ? Je veux parler ici d’effectuer des travaux de bricolage à la maison. Si c’est le cas, vous avez sans doute acheté différents équipements dits électroportatifs : scie circulaire, perceuse, scie sauteuse, ponceuse, visseuse, perforateur, disqueuse, etc… Comme la plupart des bricoleurs, vous avez faits ces acquisitions au fur et à mesure de vos besoins : un nouveau type de chantier nécessitant un nouvel équipement. Dans ces moments-là, vous n’avez pas cherché à être cohérent ou rationnel dans votre achat, cherchant plutôt à avoir le meilleur équipement pour le travail à réaliser. Peut-être même vous êtes-vous laissé séduire par un vendeur-conseiller qui vous aura vanté la dernière technologie dont son matériel est doté et sa facilité d’utilisation. Or le jour où la batterie de votre visseuse a rendu l’âme, vous vous êtes rendu compte que vous ne pouviez pas l’échanger avec celle de votre perceuse, ni d’aucun autre des équipements de votre atelier digne du meilleur professionnel. Elles n’étaient pas compatibles !

Il en va de même aujourd’hui des équipements numériques mais surtout des applications dédiées à la formation. Nous avons tous constaté que la crise de la Covid 19 a donné lieu à un grand « bricolage » de la part des enseignants et des formateurs, quels que soient leurs disciplines et leurs publics. Cette période a vécu une accélération sans précédent du déploiement d’outils de toutes sortes, déploiement bien souvent encouragé par les directions qui, devant faire face à la crise et à l’urgence des réponses à apporter, ont préféré laisser faire. Le manque d’anticipation de certains établissements et le retard accumulé au fil des années en matière d’équipement et de développement des compétences nécessaire à la digitalisation des formations ne laissaient bien souvent pas d’autre choix. Rappelons au passage qu’environ 20 % des organismes de formation n’ont pas été en mesure de passer à la distance lors du 1er confinement, cessant ainsi toute activité. Ne noircissons toutefois pas trop le tableau, cette période a également mis en exergue le foisonnement d’offres applicatives gratuites, payantes ou freemium. Elle a aussi révélé le potentiel de créativité, de réactivité et de débrouillardise d’une grande part de la communauté éducative.

Mais la multiplication des acteurs -notamment par l’éclosion de nombreuses Edtech toutes plus innovantes les unes que les autres- donne lieu aujourd’hui à la cohabitation au sein d’une même structure d’innombrables nouvelles applications avec des solutions déjà existantes telles que la gestion de la scolarité et des notes, l’évaluation, les LMS et autres ERP ou SIRH. L’heure semble donc être arrivée de rechercher de la cohérence, d’éviter les redondances, d’optimiser également les investissements et les usages, tant dans un souci d’économie et d’efficacité que de sobriété numérique. Il en va de l’intérêt des trois principaux acteurs que sont les établissements, les enseignants/formateurs et les apprenants, et de la réussite de la transformation digitale mainte fois annoncée.

C’est par ces derniers -les apprenants- que je commencerai. Que vous les appeliez, étudiants, élèves, stagiaires, apprentis ou apprenants, c’est bien de leur point de vue que vous devez vous placer pour comprendre la situation -décrite plus haut- dans laquelle ils se trouvent. Comment me repérer ? Comment savoir « avec quel outil je dois faire quoi », si je dois me rendre dans une salle multimédia du centre ou si je peux utiliser mon smartphone pour accéder à mon emploi du temps ou réaliser le test de positionnement, préalable à la prochaine séquence en présentiel ? L’expérience utilisateur, ou l’UX si vous préférez, devrait être la première chose à considérer or, force est de constater que les bénéficiaires sont rarement associés à la conception, encore moins aux choix des solutions applicatives qui leurs sont destinées. Il semble pourtant inenvisageable en 2022 de ne pas rapprocher l’expérience de l’apprentissage avec le numérique de celle de la vie quotidienne, elle-même parsemée d’applications en ligne et sur smartphone. Devant cette myriade de logiciels qui lui est proposée, l’apprenant a besoin de fluidité et de simplicité : ne pas avoir à se connecter à chaque fois qu’il change d’application, avoir une porte d’entrée unique vers les différents outils, naviguer via des interfaces proches de celles de ses outils personnels, …et si possible depuis son smartphone. Que l’on prenne en compte l’impact de la loi Pour Choisir son Avenir Professionnel ou simplement l’évolution de la société, l’apprenant est devenu un client, dans un marché qu’est celui de la formation, et qu’il faut considérer et séduire comme tel.

Les premiers à qui l’on pense pour agir dans ce sens sont bien entendu les enseignants et les formateurs. Pourtant leurs marges de manœuvres sont limitées. Les situations se résument bien souvent entre devoir utiliser un progiciel complexe qui leur est imposé et différents petits outils simples et attrayants qu’ils ont découverts eux-mêmes. L’erreur serait de retenir une solution au détriment de l’autre. Un outil central, comme le LMS, est une colonne vertébrale. Il structure, donne de la cohérence pour l’ensemble de l’établissement et permet d’envisager -enfin- différentes modalités de mutualisation entre les formateurs, voire entre les établissements. Mais un organisme de formation n’est pas une entreprise comme une autre. Ce n’est ni une industrie ni une chaine de distribution commerciale par exemple. Son cœur de métier est de produire de la formation ainsi que de proposer aux apprenants les moyens, les solutions, les environnements, les situations les plus adaptés pour leur donner la possibilité d’apprendre. Les besoins, au sein même d’une seule structure peuvent être très différents en fonction des publics, des méthodes et des modalités pédagogiques qui peuvent leur être proposées. Comment de ce fait, croire qu’un même outil puisse aussi bien répondre aux besoins de l’entreprise industrielle et internationale qu’à ceux de l’OF local spécialisé dans l’apprentissage des langues pour jeunes migrants ? De nombreux outils, de part leur structure de base où leurs fonctionnalités, imposent un modèle pédagogique. Si celui-ci peut satisfaire tel responsable formation qui déploiera un parcours imposé visant par exemple l’obtention d’une certification, ce ne sera pas le cas pour un formateur devant, au fil de l’eau, adapter le parcours d’apprentissage de chaque stagiaire en fonction de ses prérequis, de son vécu professionnel ou de ses objectifs personnels. S’il n’existe pas d’outil parfait, nul doute qu’il existe en revanche des combinaisons à imaginer entre les outils que l’on qualifiera d’institutionnels et ceux plus personnels de chaque formateur.

Le dernier acteur à devoir agir sur la cohérence de l’écosystème est certainement le plus important car c’est de lui que proviennent les orientations, les moyens, les plans d’action qui garantissent une mise en œuvre effective et efficiente. C’est l’établissement de formation lui-même. Dans un marché en pleine effervescence, où fleurissent régulièrement de nouveaux acronymes -LMS, LRS, LXP, TMS, SIRH, …- et de nouveaux acteurs, la tâche des décideurs n’est pas facilitée. Ajoutons aux contraintes déjà évoquées de nouvelles obligations liées à la mise en place de Qualiopi ou aux exigences disparates des financeurs en matière de traçabilité des formations à distance. Charge aux directions des organismes de formation d’avoir une vision à la fois moyen terme et long terme. De choisir des outils structurants et pérennes tout en ayant des approches agiles laissant une certaine liberté de choix aux équipes pédagogiques. A la date d’aujourd’hui, l’un des enjeux est très certainement d’assurer une meilleure communication entre les outils. Bidirectionnelle, cette communication peut permettre une meilleure connaissance du parcours de l’apprenant en consolidant le maximum de données et ainsi permettre une meilleure adaptation, une meilleure réponse aux besoins individuels et collectifs.

Alors écosystème ou progiciel intégré pour répondre à ces enjeux ? La question est récurrente depuis des dizaines d’années dans bien des secteurs professionnels ayant déjà vécus une période d’informatisation de leurs processus métiers. L’une et l’autre solution comportent des avantages et des inconvénients. La responsabilité de l’organisme de formation est peut-être de créer sa propre « suite applicative » où il s’attachera à ce que les composants mieux adaptés communiquent entre eux, en attendant de voir éclore un standard d’échange de données qui s’imposera à tous.
Dans un secteur en pleine transformation, il est donc indispensable de rester curieux et comme le rappelait récemment Edgard Morin : « Nous devons apprendre à naviguer dans un océan d’incertitudes ».

Crédits photos : Jean-Luc Peuvrier