Les résistances au numérique dans le numérique lui-même

10 Déc

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Les injonctions à digitaliser nos vies, nos pratiques, nos professions se heurtent à de nombreuses résistances aux changements que des analyses psycho-sociologiques peuvent aisément expliquer : peur de ne pas être à la hauteur, estimation rationnelle de ses pertes et gains – si, au sens de la théorie de jeux, un acteur social a plus à perdre qu’à gagner au changement, comment ne freinerait-il des quatre pieds ? -, ressentiment contre ceux qui l’imposent, souvent d’en haut et parfois avec le mépris de l’expertise.
A ces résistances connues et commentées, dont je ne suis aucunement un spécialiste, je voudrais en évoquer d’autres, dont, il me semble, on parle moins, celles qui viennent des outils numériques eux-mêmes.

Je prendrai d’abord comme exemple les smartphones et les tablettes, ces objets que l’on effleure, qui nous obéissent au doigt et maintenant à l’oeil (cf. les nouveaux dispositifs de reconnaissance faciale), dont le toucher et la vue sont agréables. Ils procurent un plaisir qui se suffit à lui-même et crée ou renforce la résistance aux usages imposés de l’extérieur. Usages vécus comme une immixtion dans la relation intime que nous entretenons avec nos joujoux. Ainsi j’ai pu constater que l’utilisation du smartphone en cours à de fins pédagogiques ne va pas sans provoquer, sinon une résistance frontale, du moins un agacement perceptible : procédures à suivre, consignes données sont ressenties comme une atteinte à la liberté d’utiliser, selon son bon plaisir, son iPhone ou son Galaxy, dont, par ailleurs, le coût élevé exacerbe le sentiment de propriété, non seulement de l’objet physique lui-même, mais aussi de ses usages : « c’est mon IPhone, et je fais ce que je veux avec… ».

Deuxième illustration de cette résistance au changement à l’intérieur même du numérique : l’accoutumance à des outils fétiches qui freine le recours à des outils plus appropriés, plus innovants, ou qui rend imperméable à de nouvelles pratiques. PowerPoint me semble un bon exemple d’application fétiche. Un cours magistral, Powerpoint, une présentation en entreprise, PowerPoint, un Webinar, Powerpoint. Attention, il ne s’agit pas ici de clouer PowerPoint au pilori, car, par principe, tout nouvel outil, toute nouvelle application crée de l’habitude, donc de la résistance, d’autant plus que des phénomènes de mode viennent s’en mêler. On pourrait tout aussi bien, sans chercher à provoquer, parler d’accoutumance au mind mapping, aux animations du genre Powtoon, aux vidéos interactives, et, forcément, de résistance à les dépasser (peut-être pas aujourd’hui, mais demain surement). On retrouve cette accoutumance/résistance dans les OS, dans la difficulté à switcher de l’un à l’autre. Quasi impossibilité pour les utilisateurs de Mac à passer sous Windows, l’inverse étant un peu moins vrai.

Pour conclure, on peut dire que, dans des environnements baignant largement dans le numérique, – c’est le cas aujourd’hui des universités, de lycées, des écoles, des centres de formation – les résistances au changement ne sont pas un rejet en bloc du numérique, mais concernent certains de ses outils, de ses usages, certaines de ses évolutions.

Jean-Yves Loiget – Consultant Stratice
Crédit photo : www.maxpixel.net


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