Le plus puissant des réseaux sociaux professionnels, en se vendant au géant de l’informatique, trouve les moyens de booster son développement dans la formation, le recrutement, le marketing, et autres métiers d’avenir.
D’après Gilles Fontaine, Challenges n°504, 12 janvier 2017
Jeff Weiner n’a pas l’allure classique du patron de la Silicon Valley. Avec sa barbe de trois jours, son costume de banquier, col déboutonné, le patron de LinkedIn était récemment en Europe pour expliquer sa fusion avec Microsoft, officiellement conclue le 8 décembre dernier. Et dire tout ce que le plus grand des réseaux sociaux professionnels allait apporter au géant de l’informatique. Car l’homme a une vision qui doit permettre à LinkedIn de devenir l’acteur incontournable dans la gestion de carrière et des ressources humaines en général (lire l’interview dans notre dossier recrutement p. 55 à 57). Son projet, il l’appuie sur un chiffre tiré d’une étude du Forum économique mondial : d’ici à 2020, plus de 5 millions de jobs vont être détruits dans le monde du fait des nouvelles technologies, notamment en raison des progrès dans la robotique ou l’intelligence artificielle. « La question est simple : que faisons-nous de ces gens dont le métier va purement et simplement disparaître ? » interroge-t-il.
Accumulation de données
Le patron américain pense détenir la solution : la formation et la reconversion permanente. Un axe de développement très prometteur pour LinkedIn, troisième pilier d’un business qui intègre le conseil aux ressources humaines et des outils destinés aux forces de ventes. Grâce aux données qu’il collecte sur ses 470 millions d’utilisateurs, le réseau social pouvait déjà aider les entreprises à affiner leurs procédures de recrutement ou épauler les équipes commerciales dans leurs cibles de campagnes avec sa plateforme sales solution. Mais il a aussi développé une cartographie économique qui lui permet, pour chaque localité dans le monde, de déterminer celles qui créent le plus d’emplois, le profil de ces postes, les formations qui y mènent ou le degré moyen d’éducation de la population locale.
Fin 2015, LinkedIn a fait l’acquisition de Lynda.com, un champion californien de la formation en ligne, fondé en 1995, qui propose des centaines de cours dans des dizaines de catégories différentes. Une collection qui continue d’être constamment enrichie. « Jusqu’à présent, on se formait une fois pour toute, pendant ses études, au métier que l’on pratiquerait quasiment toute sa vie », explique Jeff Weiner. Mais, pour lui, cette époque est révolue. Pour beaucoup de métiers qui se créent dans les secteurs des nouvelles technologies, il n’existe tout simplement pas de formation. « Je considère qu’aujourd’hui, pour tenir compte des réalités du marché du travail, il est nécessaire de se former en permanence », tranche le patron californien. Il est persuadé que cette activité va encore renforcer les positions du réseau social qui a su se rendre incontournable dans le monde professionnel depuis sa fondation, en 2002, étouffant même la concurrence, comme en atteste la récente disparition du français Viadeo.
Outil de recrutement
L’essentiel de ses revenus, le groupe de Mountain View les tire de ses prestations facturées aux entreprises. Le français BNP Paribas travaille avec LinkedIn depuis 2010 et a conclu un contrat global en 2015. Il en est aujourd’hui l’un des principaux clients parmi les grands groupes dont certains hésitent encore à trop s’engager auprès du réseau social, craignant pour la sécurité de leurs données. « Ce sont des relations de groupe à groupe, nous travaillons main dans la main avec eux, en faisant régulièrement le point sur l’avancée de nos projets », indique Yves Martrenchar, directeur des ressources humaines du groupe bancaire. L’établissement s’en sert comme outil de communication sur sa marque et ses produits. En outre, il possède une centaine de recruteurs certifiés LinkedIn, spécialement formés et capables d’utiliser les ressources du réseau pour identifier les profils recherchés. La totalité des 3 400 offres d’emploi à l’intérieur du groupe est exposée sur la plateforme américaine où la banque compte quelque 750 000 followers. Les forces de vente utilisent également, avec un certain succès, les outils de ciblage commercial pour recruter de nouveaux clients. La banque commence aussi à utiliser les formations de Linda pour certaines compétences digitales. Enfin, plus de 100 000 salariés ont ouvert un profil LinkedIn, soit 70 % de l’effectif. Eux aussi ont été sensibilisés au potentiel du réseau social.
Dans le cadre professionnel, la plateforme constitue désormais bien plus qu’un simple instrument de gestion de carrière. « C’est un outil interactif de partage entre pairs », décrit Olivier Cimelière. Consultant en stratégie de communication et auteur du Blog du communicant, il utilise le réseau depuis 2006 et paie 25 euros par mois pour accéder au statut premium. Ce service, dont LinkedIn tire 20 % de ses revenus, lui permet de publier ses analyses, de faire de la prospection commerciale, de construire sa réputation, d’échanger des bonnes pratiques… Il est l’un des quinze contributeurs français les plus actifs sur le réseau.
Cette audience très qualifiée est la principale raison qui a conduit les dirigeants de Microsoft à sortir leur carnet de chèques pour signer la plus grosse acquisition de l’histoire du groupe, et l’une des plus importantes du secteur de la tech. Les 470 millions de membres de LinkedIn seront rapprochés du milliard d’utilisateurs de la suite Office, la famille de logiciels de productivité la plus utilisée au monde. Entre les deux, les synergies possibles sont innombrables.
Algorithmes puissants
Dans un futur très proche, les ingénieurs des deux camps vont faire en sorte qu’il soit possible de connaître beaucoup de choses sur les expéditeurs des courriels qui arrivent dans nos boîtes aux lettres. Un profil LinkedIn sera attaché à chaque message, donnant des informations sur le parcours professionnel, la formation ainsi que sur les différents réseaux et cercles d’amis du correspondant. Il sera aussi possible de consulter son agenda et de prendre rendez-vous d’un simple clic.
La fusion avec Microsoft ouvre tous les champs du possible en matière de recherche. Le réseau social dispose d’équipes de data scientist, de spécialistes de l’intelligence artifi cielle ou du langage naturel qui lui ont permis d’élaborer ses algorithmes très prisés des DRH. Elles seront épaulées par les centaines de spécialistes en intelligence artificielle employés par Microsoft à travers le monde. La vision de Jeff Weiner est sans limites.
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